Un thème, un récit, un dessin...
Je partage ce défi réalisé avec ma sœur. Nous avions une heure pour faire parler notre passion, pour moi l'écriture et pour elle, le dessin, sur un thème particulier. Le thème était un salon de thé, et nous devions évoquer Jupiter. Je vous laisse avec le résultat.
La place de la République est vide. Seul la pluie danse et mène le bal, accompagné par un bruit de tonnerre de temps à autre. La ville entière est grise ; le premier jour de la semaine, habituellement plein de vie, est aujourd'hui morose. Les trottoirs sont mornes, la chaussée pleure l'absence de klaxons des automobilistes hurlant sur les piétons qui traversent au beau milieu de la route. Le bus est vide de la foule se plaignant de la brutalité du chauffeur qui appuie trop fort sur le frein.
Dans cette place nue et humide, un seul bruit de pas s'entend. Un pas rapide, tentant sûrement d'échapper à la pluie. Un pas qui s'entend à peine, comme s'il on marchait sur la pointe des pieds. Quelqu'un est-il assez fou pour s'aventurer dehors tandis que l'averse n'a pas cessé depuis la veille ? Courant sur le bitume, une inconnue traverse l'endroit sans regarder devant elle. Elle sait où elle va. Elle tient son sac à main au-dessus de sa tête, s'en servant de parapluie de fortune ; sa silhouette élancée est courbée sur elle-même, comme le sont par réflexe toutes celles qui souhaitent éviter la pluie. Elle porte comme seule protection un sweatshirt gris clair. Ses bottines claquent sur le béton tandis qu'elle rejoint l'autre côté de la place. Elle arrive enfin à destination et entre dans un bar dont le nom est incomplet : il manque un I à Jupiter.
A l'intérieur, l'air est plus chaud et plus agréable. Luna soupire d'aise et retire ce qui lui servait de vêtement de pluie. Un coup d'œil autour d'elle la fait sourire : le salon est quasiment vide de monde. Un autre coup d'œil renforce sa bonne humeur en voyant son cousin derrière le bar. Elle s'approche de lui et lui fait signe de la main. Il lui répond par un signe de tête, occupé à nettoyer la cafetière pour la quatrième fois depuis qu'il a pris son service à onze heure ce matin. La jeune fille s'assoit sur une table non loin de lui à proximité de la fenêtre et fait marcher ses sens. Les gouttes de pluie contre la vitre ravissent ses yeux et ses oreilles. La chaleur du lieu, peu commune car due au poêle à bois, relaxe tout son corps jusqu'à ses orteils gelés. Elle regarde tout autour d'elle ; les tables sont presque toutes vides, mis à part ça et là un groupe d'amis ou de retraités préférant ce salon de thé à l'ennui et la solitude de leur appartement. Cette fois, Luna soupire de lassitude. Elle aurait préféré sa solitude, cet après-midi. Ses livres et ses cours l'appellent. Désolée, pense-t-elle, je vous verrai tout à l'heure. Elle n'a pris avec elle que son vieux portefeuille, son portable et ses clefs. Elle n'a plus qu'à attendre son interlocuteur. Elle aurait bien pris au moins un livre, mais la dispute qu'elle a eue avec sa mère ne lui en a pas laissée l'occasion. Nathan s'approche d'elle et lui tend une boisson ; une tasse de thé parfum spécial Luna. A chaque fois qu'il la voit ici, elle lui réclame des boissons toujours plus farfelues les unes que les autres. Parfois, elles ne sont même pas sur la carte. A sa tête, il comprend la situation. Entre elles deux, ce n'est pas vraiment au beau fixe depuis le divorce. Sa cousine en veut à ses parents et le leur font savoir. Elle le remercie chaleureusement et il s'assoit. De toute manière, il n'a pas de commande ni à recevoir, ni à servir. Il ne lui demande rien, pas d'explication, il n'en a pas besoin. Il lui change les idées. Ayant les mêmes goûts, il lui parle des nouvelles informations livrées par la NASA en début de semaine. Le visage féminin s'éclaire et continue la conversation. Tous deux font le tour de l'univers. Ils refont le monde et s'inventent des voyages autour du système solaire. Planètes naines, planètes gazeuses, satellites… Ils conversent un long moment. Ils n'ont pas choisi ce salon de thé au hasard. Ni celui qui y travaille, ni celle qui vient y boire chaque semaine. Laissons-les là discuter. Car dans peu de temps, l'adolescente rentrera chez elle, succombant à l'appel de ses livres fantastiques et des pancakes fait maison. Sa mère lui demandera où elle était, elle lui répondra, calmée :
« Sur Jupiter. »