Chapitre 4
Domitille
Je suis devant la porte de l'immense bâtisse où vit le dénommé Isaac avec un tel stress que je ne peux pas parler. Je suis entourée de deux personnes, dont Emma, la jeune fille de ce matin, et un garçon, que j'ai vu aussi mais dont j'ai oublié le nom. Depuis mon réveil ce matin, je suis dans une bulle d'incompréhension totale. J'ai essayé de comprendre, mais ayant peur de la réaction des personnes autour, je n'ai pas insisté. J'ai posé plusieurs fois des questions, mais chaque fois la personne, Agathe ou Emma, me répondait avec un air désolé : « Il vaut mieux que ce soit Isaac qui s'occupe de t'expliquer. C'est beaucoup trop compliqué sinon. Je suis désolée. » Voilà pourquoi je suis devant une large porte, qui annonce une pièce tout aussi vaste derrière elle. Je n'ai toujours pas compris qui est cet Isaac, d'ailleurs. Tout ce que l'on m'a dit, c'est qu'il est leur chef. De qui ? Je ne sais pas. Pourquoi suis-je ici ? Je ne sais pas non plus. Pourquoi moi ? Aucune idée. J'espère que l'on va enfin m'expliquer qui sont tous ces gens et pourquoi je suis ici.
Ma cheville ne me fait plus mal. Lorsque je me suis levée de mon lit tout à l'heure, pour me laisser guider jusqu'ici, elle était totalement guérie, et la tension à mon épaule commençait à s'estomper. J'étais pourtant certaine de m'être sérieusement blessée. Là encore, personne ne m'a donné d'explications.
Je ne connais pas cet homme, et il me fait déjà peur. J'ai toujours eu du mal avec les adultes, et ceux-ci ont toujours eu du mal avec moi. Celui-ci ne fera pas exception. Alors que l’angoisse me tiraille et me pousse à rester immobile, le garçon à côté de moi sonne à un drôle de boîtier. De ce boîtier sort une voix :
« Bonjour, c'est pour quoi ?
Ce à quoi il répond :
- C'est Allan. Isaac m'a demandé de ramener la fille.
- Oui, bien sûr. Vous pouvez entrer, Monsieur vous attend dans la salle principale.
- D'accord, merci.
Allan – je vais tenter de me rappeler son prénom – ouvre la grande porte qui nous montre un jardin gigantesque et magnifique, plein de fleurs et de plantes toutes plus belles les unes que les autres, ainsi qu'un bâtiment entouré de plusieurs plus petits.
Nous nous dirigeons vers celui qui surplombe tout l'espace. Je suis vraiment impressionnée : l'étendue est énorme et vraiment luxueuse. Dans mes yeux on peut lire la surprise et la fascination. Emma m'explique :
- Tout ça appartient au chef, et le bâtiment au fond, c'est celui des domestiques ; mais c'est surtout dans celui-là, au milieu, que se réunissent le « Grand Chef » – elle imite les guillemets avec ses doigts – et ses seconds ! C'est grand, hein ?
Il est vraiment temps que l'on m'éclaire. On me révèle certaines choses sans le fond et le principal. Cependant je ne dis rien de toute ma pensée et hoche la tête silencieusement. Un domestique nous ouvre la porte du grand bâtiment et un autre nous guide parmi toutes les salles, tous les couloirs… J'espère que je ne repartirai pas toute seule ; je risque de me perdre. Après avoir traversé maints couloirs, nous arrivons enfin devant une grande pièce. L'homme qui nous conduisait frappe et, après un « Oui ! », nous ouvre les portes et nous fait entrer. Là, j'observe autour de moi : cinq personnes, qui, je dirais, ont toutes plus d'une trentaine d'années, sauf celle du milieu, sont debout autour d'une table posée sur une estrade qui occupe la moitié de la salle, et nous scrutent avec un air surpris, comme si nous les avions interrompus ; un autre se tient un peu en retrait, debout également, la vingtaine, et qui lui fixe un point devant lui, comme si rien ici ne l'intéressait vraiment. Un des cinq hommes, le plus jeune semble-t-il, me voyant, descend les trois marches qui donnent accès à l'estrade. Son apparence est physiquement différente des garçons que j'ai vus avant lui ; ses cheveux noir foncé et mi-longs lui tombent un peu plus haut que les épaules ; et il se tient droit en regardant devant lui. D'une démarche élégante et déterminée, il s'avance vers nous en souriant :
« Ah ! Vous voilà enfin !
Il arrive devant moi et, sans prévenir, place ses mains sur mes épaules, provoquant en moi un sursaut de surprise, ne m'attendant pas à ce genre de geste.
- Je n'attendais plus que vous !
Il se recule, tandis qu'Allan hoche la tête sans rien dire et Emma incline légèrement son buste vers lui. On dirait qu'ils lui montrent leur respect envers lui ; j'ai vu mes parents le faire quelquefois lorsqu'ils rencontraient « Monsieur le Ministre », comme ils le répétaient souvent, avant de lui dire bonjour. J'essaie donc d'imiter la jeune fille à côté de moi, mais la raideur de mon corps rend le geste assez maladroit et confus. L'homme sourit toujours en m'observant ; il semble s'amuser de ma maladresse. Je baisse soudainement la tête. Allan prend alors la parole :
- Je vous l'ai amenée, comme vous me l'avez demandé.
L'homme lui répond :
- Merci Allan, je savais que je pouvais compter sur toi.
Allan hoche la tête une seconde fois, comme par marque de respect. Puis l'autre se dirige vers les personnes au fond de la salle qui étaient toujours là à nous considérer avec attention et leur dit :
- Bien, messieurs, reportons notre réunion à plus tard. Je dois parler à ces gens. Je reviendrai vers vous une fois cette entrevue finie.
Sans un mot, ils acquiescent et quittent la pièce, excepté le jeune homme qui était en retrait. Une fois seuls, l'homme se tourne de nouveau vers nous et nous dit :
- Bien, voici quelque temps que je désire te rencontrer, Domitille.
Je ressens incompréhension et méfiance. Le percevant, il rit quelques secondes puis redevient sérieux et, après nous avoir fixé pendant quelques secondes avec une telle puissance qu'Allan lui-même a baissé les yeux, il me sourit :
- Je suis Isaac, chef des Gardiens, et je vais à présent t'expliquer tout ce pourquoi tu te questionnes depuis ce matin. »