Chapitre 2

23/03/2023

Agathe


                « C'était obligé que je vienne ? Je ne suis pas sûre que vous ayez besoin de moi !

  • Arrête de râler, Emma ! Fais un effort, on est là pour une mission bien précise ! je chuchote.
  • C'était quoi déjà ? Ah oui c'est vrai ! « Vous allez devoir porter secours à une jeune Gardienne en détresse ! » Quelle récompense ? Lui sauver la vie bien sûr !

Maxence, éternel calme plat, sourit en observant la scène dans le rétroviseur intérieur, installé confortablement sur le siège passager de la voiture. Cependant, Allan, assis juste derrière lui, n'est pas aussi patient :

  • T'as fini de râler ? Isaac nous a donné des ordres directement : on va la chercher, on lui ramène, et il sera content ! T'auras gagné un week-end de moins de vacances, trois jours de cours en moins et une augmentation de confiance d'une place auprès du « Grand Chef » !
  • Et pourquoi c'est à nous qu'il a demandé ? Et pourquoi il n'a pas dit pourquoi il nous l'a demandé ?
  • Et pourquoi tu me demandes pourquoi ?
  • Parce que tu ne me réponds pas ! Pourquoi, alors ?
  • Pour faire parler les idiotes ! grogne-t-il, perdant patience. Il n'y a vraiment que toi pour être aussi curieuse !

Vexée, Emma se renfrogne. Pour cette fois, j'interviens dans leur dispute :

  • Tu as été choisie parce que ton pouvoir et celui de ton voisin ci-présent sont puissants et que vous les maîtrisez très bien. Mais c'est vrai qu'il n'a pas donné beaucoup d'explications, Allan, avoue-le.

C'est alors que Maxence se redresse brusquement. Surpris, tout le monde se tourne vers l'endroit qu'il regarde : les lumières de la maison en face de nous se sont éteintes.

  • Ça, ça veut dire que c'est parti, non ? murmuré-je.
  • Ça veut dire qu'on sort de cette bagnole ! »

Allan lève les yeux au ciel. Je crois qu'il est habitué aux changements d'humeur d'Emma.

Redevenant tous sérieux, nous sortons de la voiture et allons faire les tâches que nous nous sommes attribuées. Nous avons tout étudié en surveillant la famille pendant les trois derniers jours, et nous nous sommes réparti le travail. Ainsi, comme ils adorent se chamailler et faire équipe, Allan et Emma passent par la fenêtre – bien que je ne sois pas sûre que ce soit la meilleure idée qu'on ait eue. Tandis que Maxence et moi entrerons par le bas, étant les plus discrets des quatre. Nous pénétrerons dans la tour par la porte et vérifierons que les parents sont endormis. Nos deux acolytes feront leur travail le plus silencieusement possible : à savoir entrer dans la chambre de la jeune fille (qui d'après notre chef Isaac se prénomme Domitille) par la fenêtre, la récupérer, et sortir par la porte d'entrée. Puis nous repartirons comme nous sommes venus : sans nous faire remarquer. Malheureusement, Emma ayant un certain talent à faire ce qu'on lui a demandé à sa façon, je doute que tout se passe sans encombre…

Après avoir vérifié que les parents étaient endormis – un peu trop vite pour moi – Maxence et moi continuons notre périple dans la tour ; une porte annonce l'entrée vers le reste du bâtiment, la partie donc où est enfermée Domitille, là où nous devons entrer. Évidemment, elle est bloquée, comme je le pensais. Ils sont prudents. Silencieusement, je prends la barrette que j'avais dans mes cheveux et la montre à Maxence. Il rit sous cape : c'est vrai, j'ai toujours rêvé de faire ça un jour ; comme dans les films ! Toujours sans un mot, nous entrons dans la partie qui nous intéresse et commençons à monter l'escalier pour aller dans la chambre. C'est assez facile de ne pas faire de bruit avec Maxence : c'est le garçon le plus silencieux du monde. Il faut dire qu'il ne parle presque jamais : je pense que c'est dû à son passé. Malheureusement, il n'en a jamais rien dit à personne, si ce n'est Allan. Quand j'y pense, ce dernier est un peu le confident de tout le monde.

Soudain, alors que nous étions au milieu de l'escalier, un bruit nous fait sursauter avec Maxence. Quelqu'un a crié. Nous nous considérons tous les deux sans surprise : Emma a fait une bêtise. Elle possède un pouvoir puissant, qu'elle maîtrise parfaitement, ce qui la rend très forte ; c'est la raison pour laquelle Isaac l'envoie parfois en mission. Cependant, elle est extrêmement maladroite et aime n'en faire qu'à sa tête, et chaque fois qu'on lui confie une mission, il se passe quelque chose d'imprévu. Je ne pensais pourtant pas qu'elle oserait ce soir.

« C'est pas vrai, je croyais qu'on avait dit pas de bêtise ! »

Nous continuons à monter en espérant que les parents ne se soient pas réveillés. Cela m'étonnerait. D'autant que je doute de plus en plus qu'ils étaient vraiment endormis tout à l'heure. Je n'ai pas le temps de faire un geste de plus que Maxence me saisit par l'épaule et me tire vers un coin sombre de l'escalier en me mettant la main sur la bouche pour m'empêcher de parler. Quelques secondes plus tard, on entend :

« Qu'est-ce qui se passe, là-haut ? »

Cette phrase est suivie d'un autre cri, plus fort que le premier. Domitille est effrayée, je la comprends. Mais la phrase que l'on a entendue ne venait pas de là-haut, c'était d'une autre personne, qui semble être bien plus terrifiante qu'Emma. Maxence m'empêche de bouger et me prend la main, sentant que je commence à avoir peur. Deux secondes plus tard, M. et Mme Lagrange passent devant nous sans nous voir, en se précipitant dans les escaliers. J'aurais dû le prévoir ; Emma a réveillé les parents de notre jeune fille en détresse. Les secondes pendant lesquelles nous attendons d'être sûrs qu'ils soient passés nous donnent l'impression d'une éternité. Une fois à moitié rassurés, nous nous dépêchons de monter ; les parents sont déjà là, et nos amis y sont aussi. Il va falloir improviser. J'entends la voix d'Allan dire :

« Et vous allez leur dire quoi, aux flics ? ''Excusez-moi, je frappe ma fille, et on a voulu m'en empêcher en entrant chez moi par effraction !'' Vous pensez vraiment que c'est nous que la police va arrêter, et que vous serez en sécurité ? Moi je ne crois pas ! »

Il est absolument contre ce genre de violence ; je sais qu'il a été témoin de ça pendant son enfance, bien qu'il ne nous en parle jamais. C'est sûrement pour cela qu'il a accepté la mission qu'on lui a confiée. À partir de ce moment, tout se passe très vite : on entend un bruit sourd, un autre hurlement de la jeune Domitille, le cri d'Emma, le son d'une bagarre, Allan je crois. Et puis, alors qu'on arrive à l'entrée, je vois une scène que l'on n'avait pas prévu : Allan se bat avec le père, s'est posté devant Emma et la jeune fille, qui d'ailleurs est allongée par terre, inconsciente. Emma s'écrie en s'adressant à moi :

« Elle est blessée ! Je vais avoir besoin de toi !

Je m'approche d'elle rapidement en évitant les coups avec agilité, tandis que Maxence rejoint Allan. Ma camarade avait raison, Domitille est dans un sale état ; en la touchant avec précaution, je peux comprendre que sa cheville est extrêmement enflée, et son épaule bien abîmée. Elle saigne également à la tête. Mais je ne peux pas la soigner ici, je n'ai pas une vision suffisante de ses blessures, et je ne peux pas le faire en présence de ses parents.

  • Il faudrait la sortir ! Je ne peux pas m'en occuper ici !

Alors que j'essaie de faire tout ce que je peux ici, il se passe quelque chose qu'aucun de nous n'avait vu venir. La mère sort un revolver de sa poche et le tourne en direction d'Allan. Horrifiée, impuissante, je suis témoin de ce qui est en train de se produire, en étant trop loin pour intervenir. Mes pouvoirs sont pour le moment inutiles. Mais soudain, au dernier moment, Mme Lagrange ne peut plus bouger ; immobile, elle ne peut pas presser la détente.

  • J'arrive juste à temps, on dirait. Tu penseras à me remercier, Allan ! »

Mes yeux se baissent vers l'ombre de notre adversaire : un pied est posé en plein milieu de la zone d'ombre, celui de Maxence. C'est la première fois depuis quelques temps que l'on entend sa voix : contrairement à d'habitude, celle-ci était posée, confiante, alors que l'on vient d'échapper au pire. C'est rare venant de lui ; comme il ne parle que rarement, quand il ouvre la bouche, il a tendance à bégayer. Mais nous ne devons pas nous attarder ici. Nous avons une blessée. J'explique aux garçons la situation. Emma décide alors de prendre les choses en main ; tel un éclair, elle touche respectivement le bras et l'épaule du père et de la mère, et provoque chez eux une décharge électrique. Puis, avant que je n'aie le temps de décrire toutes nos actions, Allan prend notre protégée dans ses bras, crée un bouclier autour de nous pour empêcher ses parents de lui faire du mal. En quelques minutes, nous sortons, nous engouffrons dans la voiture, et démarrons à toute vitesse.