Chapitre 1
Il fait noir. Je cours droit devant moi sans savoir où je vais. Je ne peux pas m'arrêter. Quelque chose me poursuit, je ne sais pas ce que c'est. Ce « quelque chose » se rapproche, tout doucement. Tout à coup, quelqu'un apparaît devant moi, une dame. Elle tend la main vers moi et …
« Ma chérie ! Debout, c'est l'heure de se lever !
Je commence à grogner, et mets mon oreiller sur ma tête, pour ne pas être dérangée. Mais ma mère me l'arrache des mains :
_ Dépêche-toi ! Tu vas être en retard en cours !
Je soupire, mais m'assieds sur mon lit :
_ J'étais en train de faire un rêve hyper bizarre : je cours, et soudain, une dame apparaît et me tend la main. Tu m'as réveillée au moment où il allait se passer quelque chose. T'aurais pu attendre que je finisse.
_ Eh bien tu le recommenceras ce soir, ton rêve, tant pis.
_ Hum …
Je ne suis pas très convaincue. Malgré tout, ma mère sortie de ma chambre, je saute de mon lit, ouvre mon armoire et commence à m'habiller. C'est alors que je me rappelle : ce soir, je vais à la soirée de Margaux, qui commence à 18h. Comme je finis les cours à 16h, Élisa, Juliette et moi passons directement chez elle. Je dois donc prévoir mes vêtements pour ce soir. Après quelques minutes d'hésitation, je choisis ma longue robe bleu nuit, pailletée, offerte par ma tante Myriam à Noël dernier. Puis, après avoir mis ma trousse de maquillage dans le sac que j'avais préparé hier, je peux sortir de ma chambre. Je descends dans la cuisine, et m'assois à table. Maman me tend mon bol de lait. Je la remercie et lui dit :
_ Au fait, Maman, ce soir, je rentrerai assez tard : je vais chez Margaux.
_ Ah oui ? Elle fête son anniversaire ?
_ Mais non, c'était le mois dernier. Elle organise une soirée. Je ne te l'avais pas encore dit ?
_ Je crois bien que si, mais j'avais oublié. Heureusement que tu me le rappelles.
Je finis mon petit déjeuner en vitesse, puis me lève de table. Lorsque je suis prête à partir, j'embrasse ma mère, qui me dit :
_ Amuse-toi bien chez Margaux, ma chérie !
_ Ne t'inquiète pas pour ça !
Je prends mon sac.
_ Sois prudente, d'accord ?
_ Promis !
Je ferme la porte, et remarque Élisa accoudée au muret devant ma maison. Elle m'attendait impatiemment. Elisa est ma voisine ; nous nous sommes rencontrées avant le début de l'année scolaire, au moment où elle a emménagé dans la bâtisse juste en face. Lorsque nous le pouvons, nous faisons le trajet ensemble ; c'est plus agréable. En me voyant, elle se redresse et me sourit :
_ Tu en as mis du temps ! Que faisais-tu ?
_ J'ai eu du mal à choisir ma tenue pour ce soir.
_ Évidemment ! Comment n'y ai-je pas pensé ! Tu prends toujours deux heures pour t'habiller et choisir tes vêtements !
Nous commençons à avancer.
_ Mais c'est pour la bonne cause ! C'est pour la soirée de Margaux après les cours ! Tu ne t'en souviens pas ?
_ Bien sûr que si, comment aurais-je pu oublier ?
Tandis que nous tournons au coin de la rue, elle continue de parler :
_ Alors, quelle tenue as-tu choisie ?
_ J'ai pris une robe qu'une de mes tantes m'a offerte à Noël l'année dernière. Elle est sublime !
_ Génial ! Je peux la voir ?
_ Non ! Surprise !
Elle commence à me supplier :
_ Oh non, s'il te plaît ! Juste à moi !
_ Non, non, non ! Tu verras ce soir !
_ Mais je ne tiendrai pas jusque-là ! Si ça se trouve, je serai morte d'impatience avant !
Je ris :
_ Eh bien tant pis pour toi !
_ Ce n'est pas drôle !
Je ris de plus belle. Ce sont des moments dont je me souviendrai toute ma vie.
Après avoir traversé une rue, puis tourné à gauche au carrefour, Élisa et moi arrivons au lycée. Margaux et Juliette, ne sont pas encore là. Mais Mattéo, Antoine et Colombe le sont. Tous ces gens sont mes camarades de classe : Margaux et Mattéo, eux, sont mes meilleurs amis. Je dis bonjour à tout le monde, imitée par mon amie, et demande :
_ Alors, tous prêts pour ce soir ?
Les deux garçons répondent avec entrain un « ouais » familier. Mais Colombe ne dit pas un mot. Je lui pose de nouveau la question :
_ Et toi, tu es prête ? Tu viens ?
Elle répond en baissant la tête :
_ Ben … En fait, non, je ne peux pas.
_ Encore ? râlé-je. Et pourquoi cette fois-ci ? Un « pélémachin » ? Une méditation ?
Elle paraît amusée, mais un peu agacée à la fois, quand elle m'explique :
_ On dit un pèlerinage, Alysée. Et une adoration, pas une médiation.
_ Ça m'est égal, ça ne m'intéresse pas ! Pourquoi tu ne viens pas cette fois ?
Colombe, catholique et fière de l'être, m'agace, sans que je ne sache vraiment pourquoi. Elle dit toujours avoir besoin d'aller à la messe, de rencontrer son « Dieu » … Je ne l'ai jamais comprise. A quoi ça sert ? Moi, je ne suis pas chrétienne, je n'ai pas besoin de Dieu, je peux me débrouiller toute seule. Mais elle, elle m'énerve quand elle parle de tout ça. En plus, elle manque plein de sorties qu'on fait entre amies, tout ça parce qu'elle va à la messe le dimanche, ou à un pèlerinage pendant les vacances. Alors ça m'énerve encore plus. Par conséquent, je me défoule un peu plus sur elle.
En tout cas, elle semble vraiment mal à l'aise. En réfléchissant, c'est normal, on est quatre à la regarder, elle qui, c'est un peu vrai je l'avoue, n'a rien demandé.
_ Je … Je vais à une soirée de louange.
_ Mais c'est énervant ! On ne peut rien faire avec toi ! C'est à croire que tu le fais exprès !
_ Bien sûr que non et tu le sais très bien ! Seulement j'ai mes priorités !
_ Et tes priorités c'est ton plaisir personnel plutôt que tes amies ?
_ Non, c'est Jésus à mon plaisir personnel ! Il y a une grande différence !
_ Non, c'est la même chose ! Tu es agaçante !
Les autres, autour de nous, n'osent rien dire. Il faut dire que quand je m'énerve, il vaut mieux ne pas être devant moi. Finalement, Mattéo s'avance vers moi et me prend par les épaules pour me dire :
_ Aly, calme-toi, tu ne penses pas ce que tu dis. C'est dommage qu'elle ne vienne pas, c'est vrai, mais ce n'est pas grave. C'est son choix, après tout.
Mon ami d'enfance me connait mieux que tout le monde ici. C'est le premier à savoir comment me calmer, comment être avec moi quand je m'énerve. Nous sommes très proches, tellement que certains pensent qu'il est mon petit ami. Mais ce n'est pas vrai. Nous sommes seulement amis.
Il me tient fermement par les épaules, et me chuchote dans l'oreille, de sorte que personne n'entende : « Tout le monde n'a pas les mêmes priorités que toi, Alysée. »
Je soupire d'agacement et déclare :
_ Bon, tant pis … Ce sera pour la prochaine fois, alors. Enfin j'espère.
Il finit par me lâcher. Je vois Colombe jeter un regard de soulagement à Mattéo. Tant pis, je ne vais pas gâcher ma journée à cause d'elle. Surtout que c'est une grande journée. D'ailleurs, Antoine ramène le calme et la paix entre nous en s'écriant :
_ Eh, regardez qui voilà !
C'est Margaux, qui essaye d'arriver discrètement. Malheureusement pour elle, la discrétion, ce n'est pas notre fort. Nous lui crions tous ensemble :
_ Joyeux « non-anniversaire » ! Joyeux « non-anniversaire » !
Elle se met à rire, comme chaque fois qu'elle est nerveuse ou mal à l'aise. Puis elle nous fait son sourire de bonheur, ce sourire si craquant qu'il fait fondre tous les garçons. Même Allan, le plus grand voyou du lycée. C'est dire si elle est mignonne !
Je lui saute au cou :
_ C'est génial ! Je suis vraiment contente de venir ce soir !
Elle nous embrasse sur la joue et dit :
_ Vous êtes tous trop mignons.
_ Et attends, tu n'es pas encore à la fête !
_ Là, en revanche, j'ai peur !
Alors, la sonnerie retentit :
_ Tiens, Juliette n'est pas là ? remarque Colombe.
_ Elle va sûrement arriver en retard, comme d'habitude ! répond Antoine.
_ Elle m'a promis de venir ! m'exclamai-je.
_ Tu n'as pas de soucis à te faire ! A mon avis, elle ne manquera pas une journée comme celle-là ! assure Élisa, toujours avec ce même rire cristallin à ses lèvres, bougeant un peu la tête, et ses cheveux châtain clair s'agitant autour d'elle. »
Nous entrons en classe. Mme Novak, notre professeur d'anglais, nous demande comme d'habitude de nous taire. Mais avec tout le bruit que nous faisons, elle peine à se faire obéir. D'après elle, nous n'aurons pas notre bac cette année, à cause de notre manque de travail – notre classe n'a pas le don de se mettre facilement au travail. Lorsque nous sommes enfin tous assis, non sans chuchoter, parler, ou pour certains rire sans gêne, notre professeur claque dans ses mains deux fois, hausse le ton, comme d'ordinaire, et comme d'ordinaire, elle obtient enfin le silence. On entend tout de même quelques murmures par endroit, entre autres, devant moi : ce sont Alix et Margaux, installées chacune l'une devant l'autre, qui parlent de la soirée, avec leur curiosité naturelle qu'elles partagent toutes les deux. Alors que Mme Novak s'apprête à commencer son cours, on entend frapper à la porte. Celle-ci s'ouvre sur une adolescente blonde, aux yeux bleus rieurs, des bras et des jambes très fins, et un sac bleu avec des perles blanches « cousues main » dessus : c'est Juliette, l'éternelle retardataire. Sous l'œil réprobateur de notre professeur, elle entre et s'installe rapidement à côté de moi. Je lui souris :
« Je commençais à croire que tu ne viendrais pas !
_ Tu parles ! Tu savais très bien que je viendrai, même si je devais refiler la grippe à tout le monde !
On rigole doucement toutes les deux. Nous nous entendons toutes les deux à merveille : à l'instar d'Elisa, j'ai rencontré Juliette en début d'année. Margaux, juste devant nous avec Antoine, se retourne et dit :
_ Coucou Juju ! Tu vas bien ?
_ Bien, merci ! Au fait, joyeux « non-anniversaire » !
_ Vous vous êtes passé le mot pour tous me faire cette blague ?
_ On s'était tous promis de le faire hier soir, par SMS ! Réplique Élisa.
Revoilà ce rire nerveux. Nerveux et collectif.
_ Moins fort, au fond ! La prof commence à râler.
Nous obéissons, mais continuons de parler. Élisa, derrière nous, se penche et chuchote :
_ Quelle est ton excuse, cette fois ? Qu'est-ce qui t'a retardée aujourd'hui ?
Juliette répond avec sérieux :
_ Mon maquillage n'était pas assorti à mes vêtements.
_ J'ai dit moins fort, au fond ! (Un avertissement de la prof que nous n'avons pas entendu.)
Mattéo ouvre ses grands yeux rieurs et soupire, l'air faussement agacé – mais on voit tous son amusement dissimulé :
_ Ah là là … On ne la changera jamais, n'est-ce pas ?
Antoine, meilleur ami de Mattéo, ajoute sur le même ton :
_ Tu as raison … Vraiment bonne à rien !
_ Au moins j'assume ! Répond Juliette du tac au tac.
Et nous nous mettons tous à rire, pas très discrètement, visiblement, car Mme Novak intervient et se fâche :
_ Bon les six au fond, ça suffit ! Ou vous vous taisez, ou je vous sépare !
Nous nous arrêtons de rire, non sans mal, et nous penchons finalement sur notre travail.